Chambre 101

Publié le par Claire T

(Avis avant lecture : ouvrez les fichiers dans un nouvel onglet - "pour les nuls" : clic droit)

Chambre 101

Je me réveille. Chambre 101. Les souvenirs de la veille me reviennent. Vagues, comme celles qui roulent à l’horizon du balcon inondé de soleil. Un bus de mer, un avion, un bus, un ferry et un taxi dans une langue mystérieuse. Où suis-je ? Pour y voir plus clair, je décide de marcher vers ce qui semble être un…village ? Enfin disons une ville. (Ne connaissant pas les codes de cet environnement, je ne peux pas prendre le risque d’offenser quiconque).

Qui oserait?

Qui oserait?

Je suis sur une route qui surplombe la mer, l’air est doux, et rien ne vient perturber la douce musique des ondes bleues. C’est alors que j’aperçois d’étranges couleurs sur la plage. Du noir caoutchouc, de l’orange gilet de sauvetage… J’ai déjà vu ce genre d’images oui, dans le zapping, dans des articles, mais pas en vrai ! Ah non non non non non hein, putain y’avait presqu’un air de vacances là en début de paragraphe ! Ça commence à bien faire ! À la télé ok, sur le net ok, mais dans la vie, dans ma vie… Merde alors ! Et ma litanie contemplative sur les rochers blonds que les vagues érodent et rident pour marquer le temps qui passe, comme ces mouettes qui fendent le ciel en ricanant parce qu’elles se croient éternelles, ces moqueuses qui viennent en plus leur chier dessus ? J’en fais quoi ?

Ok, faisons comme les gouvernements depuis…toujours, et partons du principe que ça n’existe pas, les gouvernements appliquant la loi très simple de Saint Thomas qui est la suivante : « je ne crois que ce que je vois sauf si j’aime pas ça ». Vu que j’ai raté LE bus, d’après ce que cette mamie du « Mike’s store » dont seule la pancarte parle Anglais m’a fait comprendre : « bus – no », j’ai du temps. En effet, Mamie Mike (sérieusement où suis-je ?) m’a sorti sa calculette, et a tapé 12 pour m’indiquer l’heure du prochain bus. Il est 11 heures. J’ai deux options : je regarde le troisième âge anglais faire des brasses dans l’eau à 17 degrés en les imaginant se dire intérieurement « Jeezus it’s still too hot » ou je regarde les deux messieurs boire de la bière en parlant cette langue étrange qui m’a propulsée du sommeil à l’éveil. Mmmm, passionnant.

Bah ouais, je suis allée croire ce que je voyais, prise d’une curiosité que je trouve presque malsaine (ne pensez pas que je suis allée voir de plus près les baigneurs (« vieux culs » serait péjoratif) pour faire une observation anatomique sur l’effet du sel sur la chair détendue). J’ai trempé les pieds dans l’eau, je me suis dit intérieurement « aucun doute, c’est des Anglais », j’ai observé cette composition plastique colorée inédite sur les plages de Normandie et là, j’ai eu une épiphanie.

En recollant les morceaux, le doute a fait place à l’évidence. La mer, les canots pneumatiques, les bouteilles d’eau vides turques, les gilets de sauvetage, les pneus, et Mamie Mike surtout, sachant ce qu’on dit des Grecs…, j’étais en Grèce !

Quand j’ai su où j’étais, le pourquoi j’y étais m’est revenu instantanément. Une histoire presque romanesque. Presque, à vous de juger. Pour des raisons évidentes de sécurité, la raison de ma présence en Grèce, plus précisément sur l’île de Chios (oui vous ne connaissez pas, c’est normal, moi non plus je ne savais pas avant d’être au courant) va vous être délivrée en grec. Sachez que loin de moi l’idée d’aller passer trois jours au soleil hors saison pour échapper au stress de la mégalopole, au bruit et à la pollution, ce voyage était quasiment une question de survie. Maintenant on ouvre un onglet Google traduction, et on copie-colle ce qui suit. Voilà : Φεύγω από τη χώρα να επιστρέψει ως τουρίστας Έχω 90 ημέρες για να δείτε την εξέλιξη της κατάστασης δουλειά μου.

Je vous conseille vivement d’écouter ce que ça donne, et de me faire part de vos remarques. Je trouve que ça ressemble à un mélange entre l’Espagnol et l’Italien. Ils parlent fort et ils font des gestes aussi, du coup ça trouble mon objectivité. Enfin, si l’Italien gagne question gestes, pour déterminer qui de l’Italien ou de l’Espagnol parle le plus fort… peut-être un match Real Madrid-Juventus aiderait. Je note sur ma liste « à ne pas faire ».

En gros c’était un tour de passe-passe (tout jeu de mots en rapport avec les réfugiés étant ici strictement exclu), pour gagner du temps, et voir si je peux vivre en freelance. Flexibilité, contrat 0 heure, précarité, c’est en vogue, j’ai bon espoir. ​

Attention vla LE bus ! J’abrège une conversation entamée avec deux français travaillant pour l’IFP que j’ai pris pour des randonneurs qui auraient pu être de bon conseil et je grimpe. Mesdames et Messieurs, on cherche du pétrole sur les îles grecques, et il n’y en a pas la moindre trace, sachez-le. Ceci dit, on vient de trouver de l’eau sur Mars, ça doit autoriser toutes les causes perdues.

J’arrive en ville. À Chios donc, c’est le nom de LA ville et de l’île. Prononcez Kios, ça rend mieux...et c’est comme ça qu’on dit. Pas de bol, j’ai raté LE bus pour aller où je voulais. Je déplore l’effet de la crise sur les transports publics grecs et monte dans un autre bus pour Lagada. Le conducteur est bluffant. Il arrive à faire passer le bus dans des ruelles où j’aurais peur de racler un rétro de moto. Ça grimpe un peu, et l’île se révèle être une sorte de désert rocailleux montagneux incroyablement sec, où oliviers et amandiers sont à la fête. Lagada. Je descends. Je m’interroge. Il n’y a rien. C’est même un peu tout pourri. ​

Tiens, une plage, allons-y !

Tiens, une plage, allons-y !

Chambre 101

Après 5 minutes d’observation et de mûre réflexion, j’en viens à la conclusion suivante : l’hôtesse de la « green bus station », qui fait du zèle, et c’est tout à son honneur, en conseillant les touristes sur les escapades à faire dans le coin, connaît TOUS les restaurateurs de Lagada et veut les faire bosser. Elle te vend ça dans un parfait Anglais. Non bien, chapeau, en plus à part aller manger, t’as pas grand-chose à faire. Donc j’ai mangé une sole fraîche congelée (oui, on a le droit de revoir le concept de fraîcheur dans le désert), avec une bière locale délicieuse, le tout servi en Français s’il vous plaît madame.​

15h10 : j’attends le bus de 15h15, je ne peux pas être au mauvais endroit, il n’y a aucun autre endroit.

15h25 : je me demande si une route n’a pas poussé ailleurs pendant que je mangeais ma sole fraîche congelée et si mon bus n’est pas en train d’en faire l’inauguration.

15h30 : j’interroge un passant, le seul que j’ai vu : « le bus ? », « oui LE bus », « mmm, et le stop ? »

15h35 : c’est moi ou j’ai attendu des bus toute la journée ??? Le désert, pas âme qui vive ou motorisée, ou les deux, ce serait plus pratique, à l'horizon.

Je repense à cette licorne turque volant dans les airs, aperçue la veille dans la petite ville portuaire de Çeşme. Comme je voudrais qu’elle soit là tout de suite, pour pouvoir retourner, à travers les nuages, à la chambre 101, et ne plus avoir à attendre de bus. ​

L'art est aussi un concept relatif. Le matériau utilisé pour réaliser cette splendeur féerique semble être un grillage type cage à poules peint en blanc. J'ai eu moi aussi très mal pour nos amies les licornes.

L'art est aussi un concept relatif. Le matériau utilisé pour réaliser cette splendeur féerique semble être un grillage type cage à poules peint en blanc. J'ai eu moi aussi très mal pour nos amies les licornes.

J’ai levé le pouce à la première voiture, y’en a une qui passe par heure en moyenne apparemment, je ne pouvais pas me permettre de rater ma chance. C’était un marin à la retraite qui avait fait le tour du monde, et ça m’a fait un peu rêver. Les coïncidences existent-elles vraiment ?

Au retour à Kios, prononcez Chios, au vu des derniers éléments dont vous êtes en possession, des dizaines de réfugiés étaient assis au bord de l’eau. Des femmes seules, des femmes avec leurs bébés, des gamins, des hommes, des ados, des gens plus âgés. Ils attendaient certainement le départ pour la prochaine étape. Ce qui m’a frappée c’est que malgré les conditions dans lesquelles ils traversent, j’ai trouvé qu’ils avaient l’air apaisé, propres, et aucun ne semblait mourir de faim. Le parc de la ville est un camping de fortune et la propriétaire de la chambre 101 m’a dit qu’il n’y avait aucun problème lié à leur présence. Je n’en doutais pas, mais ça faisait du bien d’entendre ça, au vu des horreurs qu’on peut voir, lire, ou entendre ailleurs…

La nuit venue, j’ai écouté son silence, rythmé par le roulement des vagues et le chant des cigales. La lune montait progressivement en étirant son reflet sur l’eau. Comme la veille, j’ai vu ces lumières ténues voguer en se rapprochant à coups de rames de la côte. Pas plus loin qu’à 50 mètres, je venais de « découvrir » d’autres reliques de ces traversées nocturnes.​

Chambre 101Chambre 101Chambre 101

Jour 2 : Le jour où toutes mes idées sur la Grèce ont volé en éclats.​

Je pensais qu’en Grèce, les maisons étaient toutes blanches et bleues. Considérant mon périple à Lagada comme une parenthèse improbable et Chios comme une ville balnéaire où l’authenticité a dû faire place au commerce bon marché de produits locaux et autres fantaisies pour touristes, je pars à l’aventure, dans les terres.

Première étape : Pirgi, un village médiéval renommé de l’île. Voyez plutôt !

Chambre 101Chambre 101Chambre 101
Chambre 101Chambre 101
Chambre 101Chambre 101
Chambre 101Chambre 101Chambre 101

Alors oui c’est très joli, les fresques murales sont assez inédites à ma connaissance très réduite en architecture urbaine, mais…où sont les maisons bleues ???

Une petite heure aura suffi pour faire la visite de Pirgi, en compagnie d’un yogi américain globe-trotter végétarien répondant au doux nom de Paul. Pour la petite histoire, ses grands-parents sont grecs et habitaient en Turquie, à Çanakkale, avant de fuir la guerre et de se réfugier aux Etats-Unis.

Sur ce coup-là j’ai été chanceuse, on était peu nombreux (4 en fait) à faire ce « circuit » (entendez par là faire deux étapes dans la journée en utilisant les bus locaux, rien de bling bling bien entendu), alors tomber sur un mec inspirant, ouvert et éclairé, c’était parfait.

Deuxième étape : Mesta, un autre village médiéval encore plus renommé. Tous ensemble, cherchons les maisons bleues, au moins une quoi merde !

Chambre 101Chambre 101

Pfff, même pas UNE maison bleue ici non plus. Que de la vieille pierre carrément. Bah d’accord. Tiens ça me dégoûte. Je suis sûre que même sur les cartes postales y’en a pas non plus. Purée… 32 ans d’illusion. Totale. Voilà, toutes mes idées sur la Grèce, tiens : poubelle. Heureusement que j’avais que celle-ci. Enfin j’en avais une autre, mais bon, j’allais quand même pas soulever la jupe de mamie Mike.

Chambre 101

Pour me remettre de cette terrible déception, j’ai mangé une bonne salade (la feta existe vraiment), avec Paul, qui m’a fait découvrir une spécialité locale, la Ρετσίνα (Retsina pour ceux qui auraient oublié leurs bases en latin), que je vous déconseille. ​

Cultivez-vous ! : https://fr.wikipedia.org/wiki/Retsina

La résine « donne un goût particulier, âpre et franc, qui au premier contact désoriente le consommateur non averti ». Voilà, tout est dit. « Désorienter » c’est bien, c’est neutre. C’est l’objectivité qu’on attend d’une page Wikipédia. Quelque chose me dit que c’est un Grec qui l’a écrite mais bon, ça n’engage que moi.

Le tout s’est déroulé dans un cadre charmant, au pays du mastic. « La variété chia, de l'île de Chios en Grèce, est la plus réputée aujourd'hui et ceci depuis l'Antiquité. Son mastic est très pur. La culture traditionnelle du mastiha de l'île a été inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l'UNESCO en 2014 ». Tac ! Ça envoie un peu ça non ?

(Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mastic_(gomme_naturelle))

Y’avait des Pistacia Lentiscus partout au-dessus de nous, mais on ne pouvait pas y accéder du bas du village. Paul est parti pour Çeşme. J’ai dit au revoir à mamie Mike. J’ai regagné la chambre 101 et regretté de ne pas avoir pénétré le patrimoine culturel immatériel de l’humanité. N’est-ce pas un comble alors qu’on va se faire voir chez les Grecs ?

Βα τη φαίρε βουρ χέζ λες Γρεκς!

Βα τη φαίρε βουρ χέζ λες Γρεκς!

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
Quel plaisir de te lire !! Comme toujours... Encore de merveilleuses aventures qui nous deciment de notre quotidien! Ca fait du bien.
Répondre
C
Merci ma sœur, je suis ravie que ça t'ait plu! Ah l'aventure...c'est l'aventure!
M
On dirait du filet de pêche le matériaux utilisé pour faire la licorne !
Répondre
C
C'est possible au bord de la mer que ça en soit, mais je voyais plus du grillage, donc j'ai opté pour le grillage!