Sur la route de Nemrut

Publié le par Claire T

Vendredi 3 avril 2015.

Nous sommes aux alentours de minuit. Après un voyage au milieu des nuages en robe de nuit dans lesquels j’ai flotté au doux ronron du réacteur, nous arrivons à Malatya, capitale internationale des abricots. Jugez plutôt :

(plus vrai que nature n’est-ce pas ?)

(plus vrai que nature n’est-ce pas ?)

Le distributeur de billets et annonciateur d’arrêts à transmettre au chauffeur (un homme, bipède, la soixantaine approchante) n’est pas très commode avec ma covoyageuse qui tente vainement d’obtenir des informations sur l’endroit le plus proche de l’hôtel où nous pourrions descendre.

« On fait pas du porte à porte non plus ». Ouais je sais pas le dire en Turc. Bon, on se débrouille sans lui parce que Carmen a un super téléphone avec GPS, qui n’est pas humain certes, mais au moins ça lui évite d’être possiblement désagréable. (NDLR : Carmen n’étant pas celle qui chante, aucun moyen de séduire l’enfant de bohême que fut sans doute ce sexagénaire pour lui extorquer des données satellites).

Sur la route de Nemrut

On arrive à l’hôtel, dans une rue au ciel de parapluies déployés prêts à nous protéger de tout désagrément météorologique, et pour cause… Après un échange avec les réceptionnistes qui nous vantent rapidement Malatya et ses alentours, les voilà fort étonnés d’apprendre que nous allons à Nemrut. "On ne peut pas aller à Nemrut, la route est barrée, il y a trop de neige".

« Hein ? Comment ? Quoi ? » Il est minuit et demie, je suis fatiguée, et j’ai pas envie qu’on me sabote tous mes plans avec une annonce aussi dévastatrice.

Comme si cela ne suffisait pas à ma déception incrédule, Carmen en rajoute une couche : « Je te l’avais dit que c’était possible, c’est arrivé à ma copine quand son mec l’a amenée là-bas pour lui faire sa demande en mariage, et ils n’ont pas pu y grimper » (Ils ont eu très froid, n’ont pas pu voir le coucher de soleil sur le mont, mais ils se sont quand même mariés, rassurez-vous). Et malgré cela, évidemment, ni l’une ni l’autre n’avait vérifié la météo et ses possibles conséquences dramatiques. Devant notre désarroi, l’un des réceptionnistes appelle l’une de ses connaissances pour s’enquérir de l’état des routes pour Nemrut, puis l’autre fait de même. On passe à chaque fois le téléphone à Carmen, qui parle turc, pour montrer qu’on est de bonne foi, et les deux contacts sont formels, la route de Malatya à Nemrut est barrée. Accessoirement, les deux contacts essaient de vendre eux ou leurs potes qui ont des voitures et qui pourraient, moyennant finances, nous aider à atteindre notre but… but qui sans l’atteindre à pied, ne fait aucun sens.

Pour nous rassurer, on nous montre des photos d’autres merveilles à voir dans le coin. « Regarde ce joli caravansérail à Diyarbakır ! » Derrière les visages en gros plan du réceptionniste et de sa copine, on peut vaguement discerner des briques rouges qui ne datent pas d’hier.

Attention, pause "culturelle" : la pose-selfie.

Oui, partout dans le monde, ça se fait, il y a même ces petites perches qu’on accroche aux smartphones pour garantir la qualité du narcissisme photographique. Soit. Mais quand même, sachez qu’en Turquie, le selfie, c’est un phénomène hallucinant, qui touche tout le monde, de 7 à 77 ans. (Après on a plus de mal à tendre le bras, surtout si l’on n’a pas de perche). Le moindre instant de vie, qu’il soit extraordinaire ou pas, est immortalisé. Je pourrais faire une liste des selfies les plus grotesques auxquels j’ai assistés, mais je vais illustrer mon propos par une petite histoire. Les histoires dans l’histoire, on aime tous ça.

C’est donc l’histoire du "gala" organisé par l’école dans laquelle je travaille à l’occasion de la fête des professeurs. En Turquie, on fête les professeurs le 24 novembre. C’était donc il y a longtemps. Bon, une semaine avant déjà, c’était à peu près le seul sujet de conversation en salle des profs. Faut dire qu’il y a pas mal de questions fondamentales à se poser dans ces moments-là. C’est un peu décisif tu vois, « quelle robe je vais mettre ? », « t’as du vernis à ongles bleu pailleté toi à me prêter ? », « et sinon tu vas te coiffer comment ? ». Dans ces moments-là, tu te contentes de méditer en silence sur le sens de la vie, et ça t’arrange, car tu n’as aucune réponse à ces questions (et pas beaucoup plus sur le sens de la vie, mais quand même, ça au moins ça t’interroge). Ah j’étais motivée, je vous dis pas comment. Donc j’ai fait du mieux que j’ai pu, ou plutôt que j’ai voulu, et après un instant où mon esprit voulait s’échapper de mon corps en entrant dans la salle dudit gala, je suis allée retrouver des visages familiers qui l’étaient tout de même moins qu’à l’accoutumée. Tout le monde avait l’air de profondément s’ennuyer à notre table, et pourtant à chaque selfie de groupe, technique qui doit porter un nom spécifique, les visages s’émerveillaient de l’instant précieux qu’ils étaient en train de partager. Comme le selfie ne suffit pas (c’est un gala je te signale), il y avait aussi un photographe, dont les clichés étaient disponibles à la vente. J’avoue, j’en ai acheté un, mais par contre les selfies : non !

Bref, retournons en voyage. « Ah attends je vous montre la vidéo que j’ai faite dans la vallée d’à côté ! C’est beau hein ? » « Oui jolie casquette » « Par contre, faut pas vous aventurer là-bas toutes seules, c’est dangereux, mais je connais quelqu’un qui… » Le besoin de dormir devenait impérieux, même si cet accueil était généreux et plein de photos statiques ou mouvantes d’un grand intérêt. On monte, y’a pas de clé, mais on a une chambre pour famille nombreuse pour le prix d’une chambre double. Tu vas pas chipoter ? Carmen si, elle chipote. Un quart d’heure plus tard, le réceptionniste revient avec la clé, la lumière est déjà éteinte, mais comme ils ont l’air d’avoir décidé qu’on allait les accompagner dans cette dure tâche de tenir l’hôtel ouvert, il arrive avec du Nescafé. Il se fait rembarrer, et redescend avec le Nescafé entre les jambes. En plus la clé ne marche pas. On abandonne.

Le lendemain matin, Carmen appelle la pension dans laquelle nous devons nous rendre, à 12 kilomètres au pied du mont Nemrut, dans le petit village de Karadut, situé à 900 mètres d’altitude. Le tenancier est formel, bien sûr qu’on peut venir, et même qu’on peut marcher jusqu’au sommet, malgré la neige. Tac. Il faut juste passer par la route qui va jusqu’à Adıyaman, puis se rendre à Kâhta, et de là prendre un dernier dolmuş pour Karadut. Sur le papier, ça paraît compliqué, mais ça ne l’a pas été, absolument pas. Dans le bus de ville qui menait à l’otogar de Malatya, nous faisions clairement touristes. Déjà parce que nous en étions, mais aussi parce que nous étions les seules femmes dévoilées à bord. La veille, dans les rues désertes, sous le ciel étoilé de la nuit avancée, ça m’avait moins frappée. Un homme au regard lubrique suggère de nous aider, mais comme ça là, dans ces circonstances, je suggère de décliner l’invitation de manière polie. Finalement, en trouvant l’otogar, on retombe sur lui, et son compère s’offusque un peu que nous ne les ayons pas suivis, mais bon « t’es pas une meuf toi gros ! »

En voiture Simone, la route est bordée d’abricotiers en fleurs, au pied de vallons tantôt verdoyants, tantôt rocailleux. Des montagnes zébrées de neige se dressent dans le ciel qui se découvre au fur et à mesure que nous descendons vers le sud. Premier arrêt : euh, est-ce une sorte de village, où il y a 3 magasins décatis et un stand d’alabalık (truite) encore toute vivante dans une sorte d’aquarium tout sale ? Oui. Bon, c’est bien ce qui me semblait. Au milieu de nulle part donc, quelques personnes grimpent, dont une femme qui est couverte de toute la tête aux pieds, avec une canne. J’étais un peu choquée oui, je n’avais jamais vu une telle "recouverture". Pas même une petite fente pour les yeux, et handicapée visiblement, je vous laisse deviner la galère pour monter et descendre du dolmuş. Bref, je ne me lancerai pas dans des débats théologiques ici, non non non. Moi je dis juste que ça avait l’air pas commode comme mode.

On continue la route, le chauffeur s’arrête pour prendre un monsieur qui attendait entre deux pierres et une touffe d’herbe. Faut les connaître les arrêts. Le type monte avec un sac de 20 kilos de bouffe pour truite. Pendant quelques kilomètres, j’ai l’impression d’être un poisson rouge les narines béantes dans un aquarium à roulettes, c’est sympa. Rien ne vaut les expériences sensorielles. D’ailleurs pour appuyer ma réflexion, une dame demande un sac et un mouchoir…

Collines, cascades, roches, arbres, herbe verte, terre rase, relief, lacs, la route est un ravissement de variations de paysages. Puis ça tourne pas mal, et on redescend à vive allure, chauffeur t’es champion ok t’es champion. Adıyaman. On arrive dans l’otogar poussiéreux de sable d’un désert qui n’existe pourtant pas, même si l’endroit en a tout l’air. J’imagine les villes d’Irak comme ça même si je n’y ai jamais mis les pieds. Avant de remonter à bord du second dolmuş, on se lance désespérément dans la quête d’un café (pas un bar bien sûr, on a une petite idée de l’endroit où on se trouve), un café où on sert du café quoi, et du thé. Bah tiens, rien du tout sur 500 mètres, à part un café pour hommes, mais là, ce serait vraiment mal venu, d’autant qu’on est les seules femmes de la planète à se pavaner dans les rues. Demi-tour, un chauffeur de taxi en mal de travail veut nous extorquer une somme astronomique pour nous emmener à Kâhta, sous le regard d’une enfant syrienne qui essaie de vendre péniblement ses paquets de mouchoirs. Elle a des yeux verts en amande et dans son regard on lit ce qu’elle a déjà trop vu, son teint est hâlé par de longues heures sous le soleil brûlant, et ses cheveux châtains frisent au vent. Ça me pince le cœur et je me demande comment une fleur naissante peut être déjà fanée.

On monte dans le dolmuş pour Kâhta, le chauffeur nous désinvite à aller à Nemrut, photo à l’appui. C’est vrai qu’il y beaucoup de neige, et la photo date de la semaine précédente... Le type nous propose de garder nos sacs le temps qu’on trouve de quoi se restaurer dans la ville, mais moi j’ai pas trop envie, parce que j’ai pas trop envie. Je crois surtout qu’il voulait trouver une bonne raison de revoir Carmen. Le voilà notre enfant de bohême !

On est très bien accueillies au restaurant, qui est le seul restaurant de Turquie à ce jour où je n’ai pas pu boire mon petit café. Heureusement, la bouffe était bonne ! A défaut, je bois un thé, et qui dit fin de repas dit cigarette. Le patron me dit de fumer dedans. « Mais c’est interdit ». Là, il m’amène un cendrier, me demande de fumer dedans et tire le rideau. Je comprends qu’on est ailleurs, où les codes ne sont pas les mêmes, les mœurs non plus, et je fume à l’abri des regards, secrètement.

Dans ce contexte, il ne nous apparaît pas évident qu’on ne va pas trouver d’alcool. Bigre de bougres que nous sommes d’avoir en tête de boire une bière le soir à la pension. Alors on en cherche, et on ne trouve pas. La ville est moche et sans intérêt, pas à cause de ça hein. Similaire à Adıyaman, mêmes impressions. Dans un supermarché, on a droit à un comité d’accueil extraordinaire de papis buvant leur thé et nous demandant ce qu’on cherche. "On regarde, on regarde". C’est tout juste si l’on ne nous suit pas dans le magasin au cas où on trébuche dans un rayon. Pour faire bonne figure, j’achète deux trois trucs. La caissière tient absolument à parler anglais, alors elle m’annonce un prix exorbitant que je traduis en regardant le compteur. C’était mignon.

Aux abords des dolmuş, des petits syriens cherchent des chaussures à cirer. L’un d’eux a ce regard dont j’ai parlé précédemment, et au moment où il croise le mien, je me sens tellement impuissante et désarmée que je ne souhaite seulement que le chauffeur démarre et nous emmène à Karadut.

Le voyage est haut en couleurs. La route vers les hauteurs est très belle. Le chauffeur s’arrête pour acheter son pain dans une sorte de no man’s land. On parle de nous à l’arrière du dolmuş, les étrangères font sensation. J’entends ce qui ressemble à de l’arabe, mais pas une variante qui est familière à mon oreille. C’est peut-être du kurde finalement, la majorité de la population de ce coin de la Turquie étant kurde. On continue la route qui se transforme soudainement en chemin de terre à la sortie du virage, pour traverser le village de Narince, où le chauffeur va acheter je ne sais quoi. Que d’hommes… que d’hommes… Ils portent l’habit traditionnel kurde pour certains, une sorte de sarouel et une petite toque sur la tête, et le peu de femmes sont voilées « à la kurde » également. Le voile est blanc avec des dentelures sur les côtés, et il recouvre un autre voile blanc transparent plus serré autour des cheveux. Le village est un amalgame de magasins en forme de legos et de maisonnées pauvrettes, jonché de déchets qui attendent d’être emportés par le vent.

On arrive un peu plus bas que Karadut. Une voiture a l’air d’attendre. Le chauffeur nous dit que c’est le patron de la pension qui nous attend. Comment il le sait, puisque nous-mêmes on ne le sait pas ? En effet, c’est lui. Incroyable, j’ai toujours pas compris. Ça nous aura évité d’appeler le monsieur pour lui demander de venir nous chercher… On arrive à la pension, et on nous laisse choisir la chambre, puisqu’elles sont toutes vides. Les deux jeunes qui travaillent là sont les neveux du "monsieur". Deux filles, deux garçons…non rêve pas, cet article est tout public ! Malheureusement. Non. Mais y’en avait un qui était charmant ceci dit. Bon, on pose les sacs et on redescend, et là je vois un type qui boit une bière. Ne cherchez plus, y’en a ici !

Sur la route de NemrutSur la route de NemrutSur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut

Le village est ondulé de collines verdoyantes ponctuées de pierres grises. Un petit fermier vient nous saluer en anglais, sous le regard attendri et fier de son père. Pour ne pas faire demi-tour, je suggère de « couper par là, a priori on retombera sur la route ». Carmen n’a aucune idée de mon non-sens de l’orientation. Et au milieu coule une rivière. Petites pierres, petits sauts de biche. Et au milieu coule une plus grosse rivière. Petites pierres qui glissent, un peu de courant. Carmen n’a pas l’air de le sentir. Déjà la première c’était une épreuve. Hors de question de faire demi-tour, je suis sûre qu’il y a la route en haut de la butte, même si je ne suis sûre de rien. Dans ces cas-là, faut jamais se démonter, sinon c’est pas rassurant pour l’autre. Bon je réfléchis pas, je saute.

« Allez viens, saute ! » Ce jour-là messieurs dames, ce jour-là, j’ai vu une biche déployer ses jambes gracieuses pour franchir une rivière bleu pailleté, en transformant au passage les gouttelettes en étoiles filantes.

Sur la route de Nemrut

Bon y’avait toujours pas de route en haut de la butte. C’est alors que Zorro est arrivé. "Gelin !" (Venez !). Zorro avait une poule dans chaque main, et les poules la tête en bas. On a suivi Zorro dans les chemins boueux. Zorro a posé ses poules chez lui, et les vla qu’elles se mettent à caqueter, alors que je les croyais mortes. Zorro appelle sa femme pour qu’elle nous offre de l’eau. Elle ne parle que kurde, et elle veut nous inviter à manger. On refuse, mais j’aurais voulu manger chez eux avec du recul, même si le repas de la pension était délicieux. Zorro nous indique notre chemin et nous fait remarquer, à juste titre, qu’il est rare dans nos pays que l’on ouvre sa porte à l’étranger…

Malgré les indications du bon Zorro, et le tout dans un village de 25 m2, tu crois pas qu’on se plante encore de « route » ? Si. Et là, surgit un bonhomme de sa maisonnée toute typique, à l’image de celle de Zorro, qui nous oriente vers la bonne direction. En fait, c’est juste en face de chez lui, en haut d’une autre butte. Il surveille nos pas d’un regard bienveillant, et une fois franchi le muret de la pension, en mode cambrioleuses déboussolées, nous le saluons avec reconnaissance.

Sur la route de Nemrut

Après une bière bien méritée, un repas copieux et délicieux nous est servi. Une salade piquante pleine de menthe, une bonne soupe, et un saç tava… (ô saç tava, délice de mes papilles).

Le vent souffle très fort dehors, ça caille sévère et nos chaussures sont trempées. J’ai la bonne idée de mettre mes bottes à sécher devant le radiateur électrique branché et à fond.

Dimanche 5 avril 2015.

Après un bon petit déjeuner, nous partons pour Nemrut. Le temps est à ravir, pas un nuage dans cet immense ciel bleu. Nous marchons et Carmen me fait remarquer que mes chaussures sont décollées… 12 kilomètres d’ascension nous attendent, et nous passerons de 900 à 2200 mètres, ce qui, vous en conviendrez, fait une trotte quelque peu coupeuse de souffle.

Sur la route de NemrutSur la route de Nemrut
Sur la route de NemrutSur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut

On ne croise que quelques tout jeunes bergers et leurs chèvres, qui nous saluent toujours généreusement.

Sur la route de Nemrut

Arrivées à l’entrée du parc, nous devons payer pour pénétrer les terres nemrutiennes. Un papi qui vagabonde nous offre à chacune un aconit napel à glisser sur l’oreille. Un panneau annonce « Nemrut Dağı - 6 kilomètres », mais les papis qui surveillent la formation du jeune berger sont plus optimistes. J’ai quand même plus confiance au panneau. L’ascension n’en finit pas, la neige est de plus en plus haute et inonde le paysage, c’est magnifique. Je cherche mes poumons et fait des pauses-photos pour calmer un peu la pression que me met Carmen à crapahuter telle une biquette fraîche comme la rosée du matin.

Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut

Enfin on arrive au pied du sommet. Quelques voitures de fainéants sont garées là. Un tractopelle barre la route, et derrière ce n’est plus qu’une tranchée entre des murs de neige. Quelque chose comme 3 mètres peut-être. Après ce n’est que de la neige, tout est enfoui. On voit trois nanas qui descendent en toboggan, le cul dans la neige, et qui nous conseillent de marcher dans leurs pas pour grimper. Je déchausse pour mettre mon pantalon imperméable, et mes chaussures font scratch avant de faire scroutch dans la neige… Adieu mes concubines, cet article vous est dédié. On laisse passer trois hommes costauds devant nous, histoire d’être sûres de pouvoir y aller sans risque (ça s’appelle l’instinct de survie). Carmen grimpe à vive allure mais tout à coup la voilà qui s’arrête. Elle est morte de trouille, c’est vrai qu’il vaut mieux regarder devant que derrière. L’hôtel qui se trouve en contrebas est presque invisible…

Sur la route de NemrutSur la route de NemrutSur la route de Nemrut

Enfin, nous sortons de la neige. Nous dépassons les trois hommes que nous retrouvons plus tard à la table de la terrasse du petit café surplombant la vallée, avant l’ascension finale. Je déchausse pour faire sécher mes chaussettes et commence à pleurer la perte de mes bottes qui avaient toute une histoire et un peu de terre des Highlands de l’an dernier.

Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut

Les hommes nous devancent et entretemps ils ont payé notre thé, en bons seigneurs. Les Turcs sont très gentlemen. Un escalier plus ou moins discernable mène au fameux site antique du royaume de Commagène. Carmen s’arrête. « M’enfin, allez, surpasse-toi, c’est comme la rivière !!! » et on monte, bon gré mal gré. Arrivée en haut, je suis un peu…désappointée. J’avais tellement fantasmé sur les images googlesques du lieu, que le charme s’est rompu en voyant ces têtes de rois et de dieux arméniens décapitées au pied de leurs trônes respectifs. Ouais mais rends-toi compte de quand ça date ces machins, et de comment ça a été construit et… Non, j’étais déçue c’est tout. Pi en plus, les têtes elles sont pas beaucoup plus grandes que moi, et elles s’étaient même pas faites déneigées pour nous accueillir alors qu’on s’était tapé 12 kilomètres de grimpette, au bas mot, pour venir les voir. Goujates ! Carmen pleurait d’émotion. Pas de les voir, mais d’avoir vaincu ses peurs. Au moins elles auront servi à quelque chose !!! J’ai fait quelques photos, en marchant peut-être sur d’autres merveilles antiques. Et toc. Pardon Antiochos, on passe à autre chose.

Sur la route de Nemrut
Sur la route de NemrutSur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut

On est redescendues avec nos trois Turcs, Carmen au bras d’Attila, elle ne pouvait pas trouver mieux pour se sentir en sécurité t’avoueras. Arrivée à la butte de neige, j’ai fait du toboggan naturel en éclatant de rire. Je serais presque remontée pour le refaire dis donc. J’avais 4 ans. Comme ils nous l’avaient proposé et que mes pieds criaient au secours en faisant maintenant flip flop dans mes chaussettes, nous sommes montées dans la voiture de nos trois nouveaux compères pour qu’ils nous ramènent à la pension. Ils nous proposent alors de nous emmener faire du tourisme avec eux, et ils repassent par Kâhta pour rentrer à Adıyaman. Ça tombe bien parce qu’on dort à Kâhta. Alors on accepte (aussi parce qu’on est deux, et qu’ils sont gentils bien sûr). En route mauvaise troupe ! Nous voilà sur les routes sinueuses avec un chauffeur qui se sent obligé de regarder en arrière à chaque fois qu’il parle, alors que moi je regarde la route et la position de la voiture et que ça m’inquiète à maintes reprises, d’autant que la voiture est chargée… Mais tout se passe bien, et la route qui nous mène au Cendere Köprüsü est magnifique. C’est vert, vallonné, avec de jolies pierres blondes, un régal.

Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut
Sur la route de Nemrut

Arrivés à Kâhta, nos compères nous offrent le repas, puis un café, dans un endroit assez typique, où chaque pan de mur est parfaitement dépareillé à son voisin, une sorte de mal assortiment bigarré frappant. Je joue à la tavla contre Attila. Il me dit ce que je dois faire pour être sûr de perdre, et pour m’enseigner, gentlemen je vous dis. C’est un peu énervant mais bon, je m’en fous, je gagne ! (j’ai horreur de perdre, mais je le sais). Je bois un menengiç kahvesi, un café à la pistache, qui a plus l’odeur et le goût d’une certaine résine de mes années folles. On essaie de payer l’addition, mais c’est sans compter sur l’hospitalité virile de nos compères. Ah non non non, jamais de la vie ! Ils nous déposent en voiture à notre pension, nous sommes traitées comme des princesses, et Attila porte même nos sacs jusqu’à la réception. Au revoir et merci !

La chambre est agrémentée de serviettes encore mouillées, et de poils d’autrui sous la douche. Carmen chipote donc. On déménage. Le réceptionniste nous a indiqué où l’on pouvait trouver des bières (il y en a donc à Kâhta !!!, vous le saurez). On joue aux cartes, je perds, grrrrrrrrrrrrrr, et dodo.

Lundi 6 avril 2015.

Nous montons dans le bus pour Malatya. Ouah. Là je me sens comme une meule de foin dans une épine. Il n’y a quasiment que des femmes à voiles blancs. Un enfant étouffe dans son manteau et chigne un moment, on le comprend, il fait une chaleur à crever, mais je suis pas très à l’aise dans mon T-shirt pour le coup… On ne prend pas tout à fait la même route qu’à l’aller, et là encore les paysages sont incroyablement variés et somptueux. A Malatya, nous demandons à l’hôtel où nous avions passé une nuit de nous garder nos sacs pour aller manger légères. Ils ne se contentent pas seulement d’accepter. Ils s’assurent de l’endroit où l’on peut prendre le bus pour l’aéroport par téléphone et le réceptionniste fait un bout de route avec nous pour nous montrer par où on devra aller… L’accueil et la générosité qui m’ont été donnés lors de ce voyage resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Un voyage dans les terres, à la rencontre des gens, authentique, et même si Antiochos ne m’a pas tapé dans l’œil, il m’a fait vivre une belle histoire. Alors merci mec !

Sur la route de Nemrut
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Salut claire c'est Martin je voulais te dire que j'adore cet article et je pense que ton jour préféré est le vendredi 3 avril :). Des images époustouflantes, vraiment belles. Ca serait bien d'avoir un écrivain dans la famille. Vraiment tu écris super bien.<br /> Bisous <br /> Martin
Répondre
C
Salut Martin! Merci beaucoup, ça me fait très plaisir que tu me lises. Et de là à faire un livre, je sais pas, mais ça fait partie de mes fantasmes depuis longtemps. Un jour peut-être, va savoir, la vie est pleine de surprises. Bisous, prends soin de toi!
A
J'ai adoré cet article ;)<br /> Désolé pour tes Timberland..! Arriveras-tu a retenir les prénoms de toutes personnes que tu rencontres?! C'est génial ce que tu fais ma cousine je dévore chaque page que tu publies.<br /> A très vite! Et réserve ton 21 Mai 2016... J'ai besoin d'une témoin pour mon mariage :)<br /> Mille bisous
Répondre
C
Merci Ad, t'aurais pas changé la date par hasard???? ça aurait été plus simple pour moi en juillet, mais je ferai évidemment tout mon possible pour honorer ce "titre"! J'ai des Quechua qui sont pas mal du coup, mais bon, rien à voir avec leurs prédécesseuses. Je les mettrai pour le mariage tu verras ;)! Je t'embrasse.