Jour de pluie

Publié le par Claire T

C’était un jour comme aujourd’hui. Je m’étais levée avec cette sensation d’abattement en tirant les rideaux qui cachent péniblement la lumière quand il y en a et qui ne couvrent malheureusement pas le bruit de la pluie, ou du reste.

Istanbul sous la pluie, c’est une autre expérience. Comme si ça n’arrivait pas souvent (et j’attends de voir ce que ça va être quand il va neiger…), le trafic est complètement chamboulé, et chambouler un trafic naturellement chaotique ne remet rien en ordre, au contraire. Du coup, je n’avais aucune envie de prendre un bus pour aller je ne sais où en vadrouille, coincée debout entre deux manteaux mouillés, le parapluie ballant et le moral à son niveau.

Je cherchais quelque chose à faire, quelque chose d’autre que de rester enfermée à regarder des séries ou autres vidéos supposées booster une journée qui ne pouvait fondamentalement pas se transformer en souvenir mémorable.

Comme une évidence, il m’est venu cette idée saugrenue à l’esprit de vouloir qu’on s’occupe de moi. J’aurais pu choisir n’importe quoi d’autre, j’aurai dû choisir autre chose, mais non, il a fallu que je décide d’aller me faire épiler. Cherchez l’erreur, on regrette tous un jour nos moments de faiblesse.

Je me renseigne donc auprès de ma coloc’, qui m’indique un endroit tout à fait correct au coin de la rue. L’histoire va devenir drôle, n’ayez crainte. J’arrive devant la porte dudit endroit, armée de mon dictionnaire, sans avoir le temps de préparer ma future interaction que la femme qui m’observait de l’intérieur sort pour me demander ce que je veux. La langue reste obscure mais la logique de circonstance me sauve : « epilasyon ? ». Du miracle des mots transparents surgit une réponse à laquelle je ne m’attendais pas devant un salon de beauté : « epilasyon yok » (yok = il n’y a pas). Me voilà bien embêtée, et c’est penaude, mon dictionnaire à la main, que je fais demi-tour vers chez moi. Je me rends alors compte, même si ça avait toujours été là, qu’il y a un kuaför dans le même immeuble que celui où je vis. Incroyable non ?

Ici les kuaför sont omniprésents, et ils coupent toutes sortes de poils, inutile de rentrer dans les détails. On va chez le coiffeur en Turquie aussi facilement qu’on va acheter une baguette à la boulangerie du coin en France. Tes cheveux sont mouillés et tu dois aller faire une balade sous la pluie, tu as dix minutes devant toi, tac tu vas chez le coiffeur te faire faire un brushing. C’est comme ça. Je crois que ça a à voir avec ce sens du beau, dont la définition m’échappe un peu, qui est en vigueur par ici. Evidemment, pour les soirs de fête, ou les occasions plus ou moins spéciales, je vous laisse imaginer les heures de débat entre copines pour décider de la robe qu’on va porter et de la couleur de vernis appropriée… et l’histoire n’est pas forcément réglée en une session d’échanges enflammés sur la question. Bref, je ne sais pas si l’intensité que je constate en de tels instants est bien réelle, tellement ça m’échappe. J’ai parfois peur de penser que ça révèle quelque chose de plus profond, d’intrinsèque à la « nature turque », nature qui se pare de tant d’artifices qu’elle en devient superflu.

Bref, rentrons chez ce kuaför, je formule la même question que 5 minutes plus tôt, ce à quoi on me répond « epilsayon yok ama ağda var ». À cet instant précis je comprends la grossière erreur que j’ai commise plus tôt. Il n’y a pas d’épilation mais de la cire. Mais sire…mais cire mais bien sûr ! Quelle idiote… L’endroit est apparemment tenu par un homme qui est en train de faire quelque chose de mystérieux plein de mousse à une mamie aux allures temporaires de glace italienne, il y a un autre type qui lit un journal en attendant le client, et cette jeune qui m’a renseignée, à qui je dis très embarrassée et donc très discrètement, les parties de mon corps dont il faut s’occuper. C’est tout naturellement qu’elle me propose de m’asseoir là, au milieu du salon, me tendant une serviette et préparant le siège. C’est tout naturellement que j’ai envie de lui demander quelle est sa définition de l’intimité, mais je n’en ai pas les moyens, donc je m’exprime comme je peux, mais le glacier comprend ce que je veux dire, et désigne un escalier, ou disons une sorte d’échelle, brinquebalante, qui mène à une mezzanine dont la stabilité m’évoque mes premières constructions de cabanes.

Je monte. Je m’aperçois que du haut de mon mètre et des poussières, je vais devoir me courber pour me mouvoir dans l’antichambre de la mort des poils et c’est moi qui meurs déjà un peu… de peur : un cartable de petite fille, une sorte de commode à tiroirs qui semble tout droit sortie des poubelles, deux, trois jouets épars, et un brancard. Je pourrais éclater de rire tellement la situation est impromptue, mais sur le moment je n’en mène pas large. Quelle drôle de direction ont suivi mes pas pour semer mes poils… Je ravale ma salive, et décide de prendre ça comme une expérience dont je rirai sans doute un jour, mais pas toute de suite. Et en effet, si le travail avait été bien fait, avec tact et soin, j’aurais pu en rire le soir même, mais comme vous l’imaginez déjà, ce fut un véritable massacre. J’ai eu très mal, et c’était très long. Je ne suis pas une habituée de ce genre de pratique, mais mon seul point de comparaison me permet d’ériger cet établissement au rang des bourreaux de l’épilation. Il s’avère que c’est fermé depuis une quinzaine de jours. Rien n’arrive par hasard. Aisselles, maillot, mi-jambe droite, panne de cire… Non mais vous y croyez ? La petite jeune était encore plus embêtée que moi je crois, et devant notre incapacité à communiquer, bien qu’elle me parlait régulièrement en haut débit turc, persuadée qu’elle devait être, comme il m’arrive souvent, que si je dis que je ne parle pas Turc en Turc, c’est que je comprends le Turc quand même, je lui ai suggéré d’aller fumer une cigarette (1 cigarette=10 minutes=temps approximatif pour obtenir une cire chaude et qu’on en finisse bordel) pour reprendre mes esprits seule et considérer la situation. On était loin de l’état de grâce. 5 minutes plus tard, une autre femme arrive (« euh oui Merhaba » (Bonjour)), suivie de la petite jeune. Je me retrouve maintenant à me faire épiler à 4 mains. Heureusement sur les 4, 2 savent ce qu’elles font alors que les 2 autres vous martyrisent depuis bientôt une heure. Ça ne rattrape pas totalement le coup mais bon…ça fait presque une histoire qui finit bien.

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